Imaginez que vous avez 47 ans et que vous vivez dans votre propre appartement. Vous avez un handicap et vous utilisez un fauteuil roulant, mais vous vivez de manière autonome avec l’aide de quelques mesures de soutien. Vous allez et venez à votre guise, prenez vos propres décisions, voyez des amis, allez magasiner, gérez vos propres finances et pratiquez des activités comme le tricot et l’artisanat. Votre appartement regorge d’objets qui vous procurent de la joie et du plaisir. Puis, vous tombez malade. Vous avez une pneumonie. Pendant votre hospitalisation, vos aidants – qui sont payés pour leur temps – doivent accepter d’autres emplois. Vous perdez éventuellement votre appartement et tout ce que vous possédez. On vous dit alors que vous n’avez pas d’autre choix que d’aller vivre dans une résidence pour personnes âgées. Voilà ce qui est arrivé à Nicole Bérubé de Bathurst au Nouveau-Brunswick.

Maintenant âgée de 49 ans, Nicole habite à la résidence de Bathurst depuis un an et demi. Je lui ai rendu visite à cet établissement pour parler de son expérience. Je suis accompagnée de Dianne Cormier Northrup, la présidente de l’Association du Nouveau-Brunswick pour l’intégration communautaire (ANBIC), un organisme à but non lucratif qui travaille au nom des enfants et des adultes ayant une déficience intellectuelle. July Synott, coordonnatrice d’inclusion sociale de l’ANBIC, est également avec nous. Nous entrons dans l’établissement. C’est propre et moderne. Les couleurs sont pâles : les murs et le plancher sont d’une couleur ocre terne. La cafétéria et les aires communes sont vastes et il y a très peu de plus petits coins salons pour les rencontres plus intimes. Cela ne ressemble pas à une maison. Cela a plutôt l’apparence et l’odeur d’un hôpital. La chambre de Nicole se trouve dans l’aile « Angel ».

C’est la journée du bingo dans l’établissement. Pendant que nous attendons la fin de la partie, nous nous adressons à une infirmière derrière une vitre pour lui demander s’il y a une pièce où nous pourrions parler en privé avec Nicole. L’infirmière est sympathique et tente de nous aider, mais il n’y a pas de pièce disponible. Nous nous résignons à nous installer dans un coin vide de la cafétéria où nous rassemblons des chaises. Nicole nous salue. Elle sert son sac à main d’une maison et une canette de boisson gazeuse de l’autre. Elle porte des bracelets colorés, mais son visage est triste. Elle veut nous raconter son histoire.

Veuillez noter que l’entrevue qui suit reflète les opinions personnelles de Nicole sur son expérience de personne jeune qui habite dans une résidence pour personnes âgées.

Comment en êtes-vous arrivée à vivre ici?

Nicole : J’ai été malade. J’ai eu une double pneumonie. J’ai été hospitalisée pendant quatre mois. Quand j’ai commencé à aller mieux après trois ou quatre semaines, j’ai eu mon congé de l’hôpital. Toutefois quand j’ai voulu obtenir de nouveaux aidants de la Croix-Rouge et des autres entreprises offrant des soins, ils m’ont dit qu’il n’avait personne en ce moment. Je devrais attendre. Après deux mois d’hospitalisation, ma sœur a mis fin à mon appartement et elle s’est débarrassée de toutes mes choses. Je ne sais pas ce qu’elle a fait de celles-ci et je n’ai même pas reçu d’argent pour tout ce qui était dans mon appartement. Je n’avais pas d’endroit où habiter. On m’a donc forcée à vivre ici, mais je ne veux pas vivre ici. Ce n’est pas un endroit pour des jeunes.

À quoi ressemblait votre vie avant d’arriver dans cet établissement?

Nicole : Je vivais dans mon propre appartement. Des aidants venaient pendant la journée et j’avais un service d’alerte médicale la nuit. Mon frère restait parfois avec moi. Je pouvais aller et venir à ma guise. Je pouvais faire mes choses. Je m’occupais de mon épicerie et de mon argent. Dans mon quartier, j’avais des amis que je pouvais aller voir. J’allais au centre commercial. J’allais au service à l’auto du Tim Horton avec mon fauteuil roulant. J’étais très active. Je me levais le matin et je partais.

À quoi ressemble votre vie ici?

Nicole : J’ai l’impression d’être en prison, c’est même pire qu’une prison. Quand je vivais dans mon propre appartement, j’étais autonome. Je pouvais faire ce que je voulais. Je pouvais manger ce que je voulais quand je le voulais, voir mes amis, gérer mon propre argent. Cependant, quand on m’a placée ici, ils ont mis un frein à ma vie. C’est ainsi que je me sens. J’ai envie d’abandonner.

Dans mon appartement, je pouvais me transférer de mon fauteuil à ma salle de bain. Après ma sortie de l’hôpital, je ne pouvais plus le faire. J’ai maintenant un cathéter et une couche pour adulte et pas par choix! Ils me forcent à en porter parce que j’ai besoin d’un lève-patient pour les transferts et le personnel n’a pas le temps.

Je déjeune habituellement au lit, car le personnel est trop occupé pour me lever. Je dois rester allongée et attendre que quelqu’un me transfère dans mon fauteuil roulant.

Je peux sortir d’ici quand je veux, mais ce n’est près de rien, sauf de l’hôpital et d’immeubles du genre. C’est au milieu de nulle part. Nous sommes loin du centre commercial et c’est très difficile de faire en sorte que le transport adapté m’emmène en ville.

Il y a environ une semaine, ils sont entrés dans ma chambre et ils ont tout enlevé : mon maquillage, mon shampoing, mes mots croisés, même mon album familial. Il y a des règles quand on vit dans une résidence pour personnes âgées. Ma chambre était décorée. J’avais des cadres sur mes murs, mais nous n’avons droit qu’à quatre cadres sur nos murs. Les inspecteurs ont dit au personnel qu’il y avait trop de choses sur mes murs. De plus, nous n’avons droit qu’à trois objets sur le rebord de la fenêtre et à une seule table de chevet. On avait averti les patients de tout enlever, mais je n’avais personne pour m’aider à le faire et à ranger mes choses. Ils sont entrés dans ma chambre. Je leur ai demandé ce qu’ils faisaient. Ils ont répondu : « Nous faisons le ménage de votre chambre. » Cela ressemblait à une saisie de drogue. J’étais bouleversée et je pleurais. Ils m’ont obligée à quitter ma chambre et ils ont tout emporté. J’ai été agressée. C’est ainsi que je me sens.

Nicole cesse soudainement de parler. Une employée de l’établissement s’approche de la machine à glaçons à côté de nous. Nicole attend qu’elle parte avant de poursuivre son récit.

Je sais que je peux vivre seule. Cela ne fait pas si longtemps. Je suis punie, car j’ai attrapé une pneumonie. C’est ainsi que je me sens. De plus, mon appareil de ventilation qui était posé sur une table du côté droit de mon lit a été déplacé sur ma table de chevet à gauche. Je n’ai donc pas utilisé mon appareil depuis environ une semaine. Je leur ai dit que j’avais besoin qu’il soit à ma droite, car je suis habituée à l’utiliser de ce côté, mais personne ne m’écoute.

Capacité NB travaille avec moi pour me faire sortir d’ici. Je veux rester à Bathurst, car c’est chez moi.

C’est l’heure de partir. La coordonnatrice d’inclusion sociale de l’ANBIC, July, promet d’aider Nicole. Elle commence par un petit pas. Elle quitte la pièce pour parler au directeur de l’établissement. Des arrangements sont pris pour que l’appareil de ventilation de Nicole soit placé du côté droit de son lit.

Des arrangements sont également pris pour que Nicole fasse le tri de ses biens personnels ayant été entreposés afin qu’elle puisse choisir ce qu’elle veut garder avec elle. July annonce cette nouvelle à Nicole qui en pleure de soulagement. On peut voir l’espoir dans son regard. Elle montre July du doigt et lui dit, « Tu es engagée! » Nous nous mettons à rire. « C’est la première fois depuis des semaines que je ris, dit Nicole. Ça fait du bien. »